Liberté, sécurité, conformité
🔍 Quand la pédagogie devient le bouc émissaire: Analyse du rapport présentée à la ministre Déry sur Dawson et Vanier
Une recommandation du rapport me laisse perplexe : à quel moment a-t-on décidé que « revoir les compétences des cours de langue » allait régler une crise politique et identitaire sur les campus?
Je suis prof d’anglais langue seconde au collégial. J’ai lu, avec attention et inquiétude, le rapport dévoilé aujourd’hui par la ministre Pascale Déry sur le climat dans les collèges Dawson et Vanier.
Ce rapport de 70 pages découle d’une enquête administrative visant à évaluer les risques pour la sécurité physique ou psychologique des étudiants dans un contexte marqué par des tensions liées au conflit au Proche-Orient.
Certaines recommandations sont attendues : mieux encadrer les activités des associations étudiantes, clarifier les règles sur les conférenciers invités, offrir davantage de soutien aux étudiants qui souhaitent porter plainte.
Mais une recommandation en particulier me fait tiquer :
« Revoir les compétences attendues des cours de langue en prenant en considération les responsabilités départementales, la liberté académique et le contexte d’enseignement dans les collèges. »
— Rapport d’enquête, p. 55
🫠 Pardon?
Ce que dit (et ne dit pas) le rapport
Le lien de causalité ici est pour le moins nébuleux. Le rapport commence par décrire des événements concrets : tensions liées à des manifestations, plaintes sur des symboles politiques comme le keffieh, présence de salles de prière, graffitis, éditoriaux controversés dans les journaux étudiants.
Puis, au fil des pages, le ton glisse vers une critique des pratiques pédagogiques. Des cours de français ou d’anglais sont pointés du doigt parce qu’ils abordent des thématiques sensibles — la Nakba, la colonisation, la race — ou parce qu’ils incluent un avertissement aux étudiant·e·s sur la nature critique du contenu.
Et là, plutôt que d’interroger le contexte, le soutien institutionnel, ou les mécanismes de dialogue, le rapport recommande de « revoir les compétences » des cours de langue.
Une logique glissante
Derrière cette recommandation se cache un raisonnement implicite qui mérite d’être décortiqué :
Certains cours abordent des sujets sensibles.
Ces sujets déclenchent des plaintes.
Ces cours s’appuient sur des compétences générales (ex. : « communiquer avec aisance en français courant »).
Donc, le problème viendrait des compétences, et non du climat politique ou des conditions d’enseignement.
Donc, il faut encadrer davantage les contenus.
C’est un raisonnement circulaire et glissant, qui fait porter à l’enseignant·e la responsabilité d’un climat qui dépasse largement sa salle de classe.
Quand la pédagogie devient une variable d’ajustement
Le danger ici, c’est de transformer un débat profondément politique — sur la liberté, la sécurité, la diversité et la parole publique — en un enjeu technique de programme.
Or, les compétences en langue n’ont jamais été conçues pour encadrer les opinions. Elles servent à structurer l’apprentissage, à baliser des objectifs clairs, à garantir un minimum commun.
Ce n’est pas leur manque de « clarté » qui crée des tensions : c’est le refus social et politique d’accueillir des voix multiples. Et ce n’est pas en réécrivant les grilles de compétences qu’on va faire disparaître les conflits autour de la Palestine, du sionisme, de la laïcité ou du racisme systémique.
À qui profite ce glissement?
Derrière l’apparence de neutralité, ce type de recommandation affaiblit la liberté académique et ouvre la porte à une surveillance accrue des enseignant·e·s. En particulier dans les disciplines de l’humain : langues, littérature, sciences sociales.
C’est une tendance inquiétante : faire de la pédagogie un terrain de gestion du risque politique. Et ce, sans jamais nommer l’enjeu central — le fait que nos campus sont les miroirs d’une société traversée par des fractures réelles.
Enseigner, c’est parfois déranger
Je crois fermement que les cours de langue — surtout au collégial — doivent être des espaces de réflexion, d’ouverture, de désaccord respectueux. Pas des zones neutres au sens politique du terme. Parce que le langage lui-même n’est jamais neutre.
Et parce qu’on ne forme pas des citoyens critiques en leur servant des textes édulcorés ou « sécuritaires ».
Alors non, ce n’est pas en « révisant les compétences » que l’on va rétablir un climat serein et respectueux. Ce n’est pas non plus en infantilisant les profs ni en censurant les contenus.
Ce qu’il faut, c’est du soutien. De la formation. Du dialogue. De la confiance.
Et, surtout, le courage du réel dialogue.
🟣 Post-scriptum — une dérive encore plus troublante :
Le rapport ne s’arrête pas à Dawson et Vanier. Il recommande carrément :
« D’adopter une loi pour encadrer la liberté académique dans le réseau de l’enseignement collégial. »
Pardon?
Non seulement la liberté académique est déjà reconnue dans nos conventions, mais elle est ici présentée comme un problème.
Et surtout : pourquoi imposer un encadrement national à tout le réseau alors que l’enquête porte sur deux collèges précis?
Je suis prof de langue dans un cégep où le climat est sain. On applique nos politiques. On vient même de réviser notre devis ministériel.
Pourquoi faudrait-il nous imposer un cadre législatif de plus?
Est-ce vraiment une question de sécurité? Ou un prétexte politique pour mieux normaliser, surveiller, contrôler?