Victor-Lévy Beaulieu, le dernier des géants
VLB, l’écrivain méchant. Le père lucide. Le géant sans funérailles nationale.
Aujourd’hui, j’apprends que Victor-Lévy Beaulieu n’est plus.
Et avec lui s’éteint une voix dont l’écho était rude, mais nécessaire.
Il y a douze ans, j’avais plongé dans James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots comme on se laisse avaler par un ouragan. Cet essai, lecture lourde pour un samedi, je le partagerai cette semaine.
VLB n’écrivait pas pour plaire. Il écrivait pour déranger. Pour rugir. Pour vivre.
Son essai hilare n’était pas une lecture : c’était un corps-à-corps.
Il y soufflait l’haleine du père meurtri, du fils absent, du peuple trahi.
Il y crachait ses obsessions — la langue, le sexe, la trahison, la patrie.
Il y renversait Joyce pour mieux se lire lui-même.
Moi, lectrice, je ne pouvais qu’admirer ce paradoxe incandescent.
Beaulieu, l’usurpateur flamboyant, haïssait la posture tout en la cultivant.
Il refusait l’héritage — en le trahissant de l’intérieur, comme tout bon fils littéraire.
Et pourtant, dans son rejet, il y avait fidélité.
Une fidélité féroce au texte, à la langue, à l’humanité blessée.
Il fut le Québec en colère.
Il fut le père sans fils, le fils sans terre, le ventre affamé du peuple qui cherche encore.
Et maintenant, ils refusent.
Le gouvernement du Québec a décidé qu’il n’aurait pas droit à des funérailles nationales.
A peine un drapeau en berne.
Comme si la voix de Trois-Pistoles n’avait jamais fait vibrer le pays tout entier.
Comme si son œuvre n’avait pas forgé notre imaginaire collectif, au fer et à l’encre.
On lui reprochera ses excès? Ce sont ces excès qui font l’histoire.
On lui reprochera sa langue tranchante? Mais c’est elle qui a sauvé la nôtre, parfois.
Victor-Lévy Beaulieu a donné au Québec une bibliographie en forme de soulèvement.
Le priver de funérailles nationales, c’est refuser de voir ce que nous sommes.
Mais qu’ils refusent.
Nous, nous n’oublierons pas.
Parce que les livres sont des tombeaux d’éternité.
Et ceux de VLB brûlent encore.